Cela faisait des années que je chérissais le rêve de vivre en habitat léger, un comble pour un maçon diriez-vous ! Le contexte économique ne nous pousse pas à investir dans la pierre étant jeune ; désirons-nous vraiment mettre le doigt dans cette machine infernale qu’est la vie à crédit ? Pour rester coincé dans un métier qui nous accable, payer notre crédit habitation, notre crédit auto indispensable pour aller bosser, et finalement payer le psy et l’avocat du divorce. Mon choix était fait depuis mes 20 ans, je ne troquerai pas ma liberté de vivre ou de m’insurger pour 25 ans de dettes sur ma maison. Mais alors quel choix faire ?
Après avoir vécu en location, en camion, en camping-car, dans un entrepôt, j’ai exploré la plupart des possibilités qui s’offraient à moi en terme d’habitat mobile. Étant moi-même un nomade dans l’âme, je cherchais un habitat que je pourrais transporter là où le vent et les rencontres me porteraient : roulotte, tiny house, tipi, conteneur, poids lourd aménagé, et finalement la yourte qui était mon coup de cœur depuis des années.
Pourquoi ce choix ? Après avoir expérimenté la vie en véhicule aménagé : fourgon et camping-car, je me suis rendu compte que ces structures en métal et plastiques ne m’apportaient pas la paix que je cherchais dans mon chez moi. Je voulais quelque chose de plus “naturel” pour que ma maison soit également un lieu de repos, de méditation. En ce sens, pouvoir installer sa maison dans des lieux inaccessibles depuis la route, en pleine forêt ou sur un terrain isolé était un critère important. Ce souhait m’a éloigné des tiny house et autres conteneurs, trop complexes à déplacer.
Étant un adepte des habitats primitifs, cela ne m’aurait pas déranger d’expérimenter la vie en tipi, mais comme tout le monde, j’ai des biens de valeurs à garder chez moi sans que le chasseur ou le randonneur du coin se sente l’envie d’aller fouiner dans un abri sans porte. Entre temps mon chemin à croisé celui d’une femme formidable avec qui je partage ma vie aujourd’hui, et cela à remis en cause beaucoup de mes critères “primitifs” justement, pour les remplacer par les notions de confort et de sécurité.
“Ça te dirait pas de vivre en yourte ?” Sa phrase qui a tout enclenché. Sans que je lui touche mot de ce rêve, cette proposition a été le moteur pour sortir de notre vie de “pseudo-citadins”. Nous avons pensé ce changement d’habitat comme un changement de vie, en nous éloignant des grandes agglomérations pour une vie plus simple, en campagne.
La yourte représentait pour nous le meilleur compromis, mobilité / confort, sécurité, c’est un habitat :
– lumineux, avec son dôme central
– confortable, car isolé comme une maison classique avec de bonnes épaisseurs d’isolant en paroi et toiture
– entièrement démontable et transportable en véhicule léger < 3,5T
– implantable partout ou le sol est plan grâce à une pose sur plots réglables
– sécurisant car fermé par des huisseries standards
– facile à chauffer grâce à la présence d’un poêle
– et bien d’autres ( sain, chaleureux… )
Nous allions donc vivre en yourte, mais qui choisir pour bâtir le projet de nos rêves ? Je scrutais les fabricants de yourtes depuis des années. Notre sélection s’était porté sur 2 artisans : le premier est l’atelier des coureurs des bois, qui réalise de véritables œuvres d’art artisanales dans la plus pure tradition des yourtes kirghizes. Je pense que si j’avais été seul, j’aurais peut être craqué pour une yourte de cet atelier, mais la vie de tous les jours dans un cadre plus proche des normes de confort actuelles nous ont poussés à partir vers quelque chose de plus moderne et confortable. Nous avons donc choisi de confier notre projet à l’atelier Yourte Alpine.
Yourte Alpine, ce qui a fait pencher la balance.
Nous souhaitions simplement ne pas avoir de problèmes avec notre habitat, qu’il nous libère du temps pour nous investir dans nos projets respectifs. Beaucoup de questions se posent avant d’habiter en yourte : sera-t-elle bien étanche à la pluie ? et en cas de neige ? le vent ? sera-t-elle facile à chauffer ? même la nuit ? et le confort d’été ? Benoit Guillet, créateur et gérant de Yourte Alpine, a répondu à toutes ses questions par de vraies solutions techniques, croquis à l’appui. Étant moi-même du bâtiment et concerné par les logiques d’isolation, d’étanchéité à l’eau et à l’air sur les bâtiments en “dur”, j’ai vu que chacun de ces points avaient été pensés et adaptés à la yourte. En effet, prendre une yourte artisanale mongole ou kirghize pour la poser en France (en tous cas dans la plupart des régions françaises) est un non-sens : les conditions climatiques ne sont pas les mêmes et nos exigences de confort d’européen sont un peu mises à mal en dehors d’un petit week-end pour expérimenter la vie en yourte.
Benoit Guillet a donc conçu une yourte qui supporte les conditions climatiques de notre pays, avec une pente de toit augmentée à 30%, des murs intérieurs de 2,20 m pour y poser nos meubles habituels, un grand dôme zénithal en polycarbonate qui non seulement laisse entrer la lumière mais s’ouvre également pour laisser l’air chaud s’échapper en été, sans laisser entrer la pluie en cas d’averse. Pour l’extérieur c’est une toile acrylique déperlante, qui laisse sortir l’humidité que nous produisons à l’intérieur de la yourte. Le plancher est un camembert, isolé ou non, entièrement démontable et posé sur des pieds réglables. L’étanchéité à l’air est particulièrement soignée : les jonctions de toiles aux niveaux des menuiseries, du dôme, la superposition des toiles entre elles, les fixations en velcro et sangles. On sent que de nombreux petits détails ont été poussés à l’extrême pour fournir un habitat confortable et sans mauvaises surprises.
Le montage
Il nous aura fallu 3 jours à 3 pour monter la yourte avec l’aide de Benoit Guillet, c’est un sacré boulot, plus que ce que l’on s’était imaginé. Avoir une yourte performante demande de passer plus de temps sur les détails, mais au final c’est peu de temps passé à l’échelle d’une année de confort. Nous avons opté pour un isolant naturel, la laine de mouton qui gère très bien les transferts d’humidité, la toile est unie dans une teinte “passe partout” pour ne pas trop gêner le voisinage, le sol est en bois massif de 48 mm, non-isolé mais jointé par un système rainuré qui limite bien les pénétrations d’air, un grand tapis fait l’affaire dans notre cas.
Et alors la vie en yourte ?
Nous avons eu la chance d’être acceptés dans une commune où le maire est ouvert d’esprit. Globalement, là où la tension immobilière est plus faible il est plus simple de poser une yourte sans se faire embêter. Nous avons choisi de nous présenter à la mairie pour ne pas vivre dans la crainte de la délation, d’autres tentent le forcing mais pas nous. Nous nous somme installés au sein d’un habitat partagé, sur un petit hameau en reconstruction. Le fait d’avoir un habitat sobre mais terminé nous permet d’aider nos voisins dans leurs projets d’aménagement, et plus généralement de nous libérer du temps pour nous.
Nous avons opté pour une yourte de 27 m2 pour 2 personnes, ce qui est le minimum selon moi. Nous avons quelques pièces annexes sur l’extérieur, toilettes sèches comme les anciens, et bientôt une petite salle de bain isolée, en attendant les voisins nous prêtent la leur et nous redécouvrons la toilette au gant de nos grands-parents dans la yourte. Il faut globalement faire attention à la vapeur d’eau que l’on émet dans la yourte car pas de VMC, donc l’hiver la douche chaude en intérieur ramènera beaucoup d’eau dans les parois à moins d’aérer.
A aucun moment nous regrettons notre choix de vie en yourte. Cet hiver, malgré les -12°C nous avons tourné à 20°C intérieur grâce à notre petit Jotul. Avec le recul je pense qu’un petit poêle turbo aurait aussi bien fait l’affaire pour 3x moins cher. Nous n’avons pas eu les moyens de prendre un conduit double paroi pour le poêle, mais nous investirons l’année prochaine, c’est un élément indispensable pour maintenir une chaleur constante en faible tirage. La principale différence avec une maison classique se fait surtout au niveau acoustique, la yourte filtre très peu les bruits extérieurs, c’est pour cela qu’elle s’insère mieux dans un milieu calme et naturel, comme pour nous où c’est le chant des oiseaux qui nous réveille au matin. Rien ne me manque dans mon ancienne vie de citadin, l’argent que nous n’injectons pas dans une location, nous pouvons le mettre dans une meilleure alimentation via l’AMAP du coin, et puis nous pouvons simplement passer moins de temps à travailler pour prendre soin de nous et ceux qui comptent pour nous. La vie quoi !
Jérémy Cohen
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